Un libre penseur. - Vous avez proclamé tout à l'heure la liberté de la pensée et de la conscience et déclaré que toute croyance sincère est respectable. Le matérialisme est une croyance comme une autre ; pourquoi ne jouirait-elle pas de la liberté que vous accordez à toutes les autres ? A. K. - Chacun est assurément libre de croire à ce qui lui plaît, ou de ne croire à rien du tout, et nous n'excuserions pas plus une persécution contre celui qui croit au néant après la mort que contre un schismatique d'une religion quelconque. En combattant le matérialisme, nous attaquons, non les individus, mais une doctrine qui, si elle est inoffensive pour la société, quand elle se renferme dans le for intérieur de la conscience de personnes éclairées, est une plaie sociale si elle se généralise. La croyance que tout est fini pour l'homme après la mort, que toute solidarité cesse avec la vie, le conduit à considérer le sacrifice du bien-être présent au profit d'autrui comme une duperie ; de là, la maxime : Chacun pour soi pendant la vie, puisqu'il n'y a rien au-delà. La charité, la fraternité, la morale, en un mot, n'ont aucune base, aucune raison d'être. Pourquoi se gêner, se contraindre, se priver aujourd'hui quand, demain peut-être, nous ne serons plus ? La négation de l'avenir, le simple doute sur la vie future, sont les plus grands stimulants de l'égoïsme, source de la plupart des maux de l'humanité. Il faut une bien grande vertu pour être retenu sur la pente du vice et du crime, sans autre frein que la force de sa volonté. Le respect humain peut retenir l'homme du monde, mais non celui pour qui la crainte de l'opinion est nulle. La croyance en la vie future, montrant la perpétuité des relations entre les hommes, établit entre eux une solidarité qui ne s'arrête pas à la tombe ; elle change ainsi le cours des idées. Si cette croyance n'était qu'un vain épouvantail, elle n'aurait qu'un temps ; mais comme sa réalité est un fait acquis à l'expérience, il est du devoir de la propager et de combattre la croyance contraire, dans l'intérêt même de l'ordre social. C'est ce que fait le spiritisme ; il le fait avec succès, parce qu'il donne des preuves, et qu'en définitive, l'homme aime mieux avoir la certitude de vivre et de pouvoir vivre heureux dans un monde meilleur, en compensation des misères d'ici-bas, que de croire être mort pour toujours. La pensée de se voir à jamais anéanti, de croire ses enfants et les êtres qui nous sont chers perdus sans retour, sourit à un bien petit nombre, croyez-le-moi ; c'est pourquoi les attaques dirigées contre le spiritisme au nom de l'incrédulité ont si peu de succès, et ne l'ont pas ébranlé un instant.