CHAPITRE XXXVIII La mission de la religion - 0 ma mère ! Avec quelle impatience je t’attends ici chaque jour ! Mes regards s’attachent constamment sur deux routes : celle où je te vois venir à moi, et celle encore déserte d’où j’attends la liberté ; une qui vient de la terre, et l’autre qui monte dans les sphères supérieures. Oh ! Combien cette solitude est solennelle, et comme elle me prépare favorablement à mon bonheur futur ! Dieu a permis que tu t’approchasses de moi, et le calme de nos cœurs a comblé le vide de l’isolement. L’âme en paix est tellement vaste qu’elle peut contenir en pensées plus que l’univers ne peut contenir de créations matérielles ; elle renferme tout à la fois et les cieux et la terre ; et plus elle pense, plus elle s’instruit, et plus aussi elle s’élève et s’étend dans l’infini. L’âme semble n’avoir aucune limite, mais l’esprit qui se meut au milieu du vice se rétrécit et se renferme dans un cercle mesquin, et il arrive au point de ne plus pouvoir sortir des limites de la chair, triste prison qui a pour geôliers l'égoïsme et l’ennui. Oh ! Souviens-toi, ma mère, de ce que tu vois ici, surtout lorsque tu retourneras dans le séjour de la nuit ; la vérité t’y soutiendras ! - Pourquoi, ô mon fils ! le mensonge règne-t-il sur la terre ? Pourquoi faut-il cacher au milieu de ce monde corrompu toutes les sensations pures qui ravissent l’âme ? Et cependant la vérité contient en elle tant de consolations et d’amour ! - O ma mère ! C’est que le cœur humain n’est pas encore assez purifié pour la comprendre ; il se plaît à être trompé et à se tromper lui-même ; il sent qu’il n’est pas encore capable de la supporter ; son flambeau est trop éblouissant pour son faible vue, il veut être trompé afin de s’éviter la peine de réfléchir et de discerner. Que l’esprit est paresseux lorsqu’il ne trouve pas dans ses études une solution prompte et palpable ! Et cependant, les vérités spirituelles, celles qui intéressent la conscience et l’avenir de l’âme, ces vérités, on les sent mais on ne les touche pas.
Si Dieu n’a pas révélé autre chose dans le code de l’humanité qu’amour et charité, c’est qu’il a voulu laisser l’homme libre d’entourer ces deux mots de toutes les vertus qui en dépendent et qui doivent leur servir d’escorte ; il lui a laissé le soin de compléter le cadre qui doit régler sa vie, suivant les aspirations de son cœur ; mais il ne faut pas qu’il s’écarte de ces deux lignes, ou le fil serait rompu, et Dieu ne serait plus avec lui. Ce sont les faux principes que l’on a imposés aux consciences qui ont précisément rompu les liens de foi et de charité ; c’est pour cela que la Religion a perdu ses relations avec le ciel, et qu’elle n’est plus maintenant qu'un foyer de divisions et de haines sanglantes ; elle n’est plus en rapport avec Dieu depuis qu’elle est soumise aux caprices des hommes qui ont transformé à leur gré les pensées les plus pures et les plus saintes au contact du tumulte des passions qui les agitent. La Religion, je la vois comme un ange venu sur la terre pour la mettre en communication avec les cieux, pour consoler les mortels et développer leurs aspirations au bonheur immortel, et cet ange demandait pour abri des cœurs où il pût répandre les consolations et les espérances dont il était si richement pourvu ; il demandait à être l’appui des faibles et la providence des pauvres déshérités de la vie ; il voulait marcher devant cette foule égarée qui se pousse et se heurte pour arriver plus tôt au bord de l’abîme du déshonneur ; il voulait enfin dire aux heureux de la terre : « Secondez-moi avec le superflu des richesses que vous possédez pour adoucir les souffrances de vos malheureux frères. »
Mais, non ; cette fille du ciel n’a rencontré sur la terre que de coupables ambitieux qui ont arraché une à une les belles plumes de ses ailes afin qu’elle ne put plus s’élever vers Dieu ; ils lui ont mis des liens de toutes parts pour la priver entièrement de sa liberté. « Tu es riche et belle ! lui ont crié mille voix menaçantes, nous voulons tes trésors, nous te gardons en otage, et ceux qui te réclameront paieront une forte rançon ; tu es à nous et nous étoufferons tes plaintes et tes cris afin qu’ils ne soient pas entendus du dehors. Pour cacher les blessures de tes ailes, nous te couvrirons de riches parures, nous te montrerons environnée de nuages d’encens, et, sur un char de triomphe, nous te promènerons au milieu d’une foule éblouie. Nous parlerons en ton nom, et nous te ferons dire par des bouches séditieuses et hypocrites ce que tu repousses avec tant d’horreur : le mensonge ! Nous dirons aux ignorants que tu forges des armes, que tu as soif de carnage et de sang ; nous leur dirons que tu veux des trésors pour combattre ceux qui sont contre nous. » 0 ma mère ! Si la Religion est captive, si malgré son indignation elle ne peut crier : A l’imposture, à la profanation ! Dieu a vu son triste destin, et il a envoyé pour la secourir des légions d’esprits qui peuplent l’espace, et qui ont pour mission de délivrer celle qui s’était vouée au bonheur de l’humanité ; mais avant de briser les barreaux de sa prison, ils s’empressent de se faire connaître aux hommes de bonne volonté ; ils les inspirent et leur montrent que la religion vraie consiste à pardonner sans cesse et à faire le bien sans intérêt ; ils disent à tous : « Cherchez dans vos cœurs, et vous y découvrirez des trésors immenses qui sont restés enfouis au fond des ténèbres de votre ignorance. » Et ces esprits pénètrent dans les âmes, armés du flambeau de la foi et de la vérité, et sa lumière céleste a mis à découvert à leurs yeux étonnés toutes les trames que le mensonge a ourdies ; elle leur montre le chemin où la Religion est retenue prisonnière, et ces anges, de concert avec ces hommes dévoués, marchent à sa délivrance. Déjà ils l’ont vue, chétive et faible, s’appuyant sur un trône vermoulu, les pieds et les mains liés, la bouche bâillonnée, et ces vêtements mis en lambeaux par ceux mêmes qui l’avaient vêtue. Mais elle ne mourra point entre les mains de ses bourreaux ; les anges, ses frères, vont lui panser ses plaies que les liens ont creusées ; ils vont la prendre sur leurs ailes, et l’élever aux cieux où elle sera déposée aux pieds de l’Eternel. Et les anges lui diront : 0 Dieu, si bon, si miséricordieux, voilà ta fille, voilà notre sœur ! Nous l’avons trouvée mourante sur la terre où tu l’avais envoyée, afin d’y porter la vie et l’espérance ; ranime-la de ton amour ; nous allons accomplir sa mission, et relier au ciel ce qui s’en était détaché.