CONFRATERNITÉ DES ÂMES SUPÉRIEURES
FÉVRIER 1875
Il est quelquefois désespérant, j’en conviens, de regarder une humanité pendant ses époques de crise. Il est désolant de la voir vicieuse, brutale, matérielle ; du haut des sommets atteints, on plaint sincèrement les êtres un peu plus purs, un peu plus grands que les autres et qui usent leur pouvoir et leurs forces à relever de la boue les malheureux qui s’y traînent. On serait tenté par moment de leur dire : à quoi bon ?.. Si, de ce regard spirituel qui plonge au-delà de la limite d’un monde, on n’apercevrait le progrès incessant sous toutes les formes.
Le dévouement se gagne et au lieu d’une plante stérile, c’est une main amie et quelquefois puissante que l’on vient tendre à ceux dont le travail parait si peu productif.
Vous trouvez votre humanité mauvaise, votre monde arriéré; il l’est en effet, pour vous surtout qui savez déjà vous détacher de la matière, il le parait encore davantage pour nous qui sommes plus gagés que vous, et cependant, nous qui en voyons en même temps un nombre incalculable de plus arriérés encore, nous sommes forcés de convenir que ce monde si pauvre qu’il soit est un monde en voie de progrès, un champ qui commence à verdir.
Hélas, spirites ou philosophes, vous avez à peine semé et nous vous entendons constamment parler de la récolte à faire comme si c’était une chose toute prochaine. Soyez dévoués jusqu’à l’impossible et sachez une chose : c’est que le vrai dévouement ne se compte pas, que ce n’est point pour vous que vous êtes sur la terre mais pour faire profiter autrui de vos douleurs et de vos travaux.
Le vrai levier du progrès c’est la solidarité et la récompense du travail accompli, c’est la liberté ! Vous y marchez, mais vous ne la tenez pas encore.
Proudhon.