Justice des afflictions.
Les compensations que Jésus promet aux affligés de la terre ne peuvent avoir lieu que dans la
vie future ; sans la certitude de l'avenir, ces maximes seraient un non-sens, bien plus, ce serait un
leurre. Avec cette certitude même on comprend difficilement l'utilité de souffrir pour être
heureux. C'est, dit-on, pour avoir plus de mérite ; mais alors on se demande pourquoi les uns
souffrent plus que les autres ; pourquoi les uns naissent dans la misère et les autres dans
l'opulence, sans avoir rien fait pour justifier cette position ; pourquoi aux uns rien ne réussit,
tandis qu'à d'autres tout semble sourire ? Mais ce que l'on comprend encore moins, c'est de voir
les biens et les maux si inégalement partagés entre le vice et la vertu ; de voir les hommes
vertueux souffrir à côté des méchants qui prospèrent. La foi en l'avenir peut consoler et faire
prendre patience, mais elle n'explique pas ces anomalies qui semblent démentir la justice de Dieu.
Cependant, dès lors qu'on admet Dieu, on ne peut le concevoir sans l'infini des perfections ; il
doit être toute puissance, toute justice, toute bonté, sans cela il ne serait pas Dieu. Si Dieu est
souverainement bon et juste, il ne peut agir par caprice ni avec partialité. Les vicissitudes de la vie
ont donc une cause, et puisque Dieu est juste, cette cause doit être juste. Voilà ce dont
chacun doit se bien pénétrer. Dieu a mis les hommes sur la voie de cette cause par les
enseignements de Jésus, et aujourd'hui, les jugeant assez mûrs pour la comprendre, il la
leur révèle tout entière par le spiritisme, c'est-à-dire par la voix des Esprits.
Causes antérieures des afflictions.
Mais s'il est des maux dont l'homme est la première cause dans cette vie, il en est d'autres
auxquels il est, en apparence du moins, complètement étranger, et qui semblent le frapper comme
par fatalité. Telle est, par exemple, la perte d'êtres chéris, et celle des soutiens de famille ; tels
sont encore les accidents que nulle prévoyance ne pouvait empêcher ; les revers de fortune qui
déjouent toutes les mesures de prudence ; les fléaux naturels ; puis les infirmités de naissance,
celles surtout qui ôtent à des malheureux les moyens de gagner leur vie par le travail : les
difformités, l'idiotie, le crétinisme, etc.
Ceux qui naissent dans de pareilles conditions n'ont assurément rien fait dans cette vie pour
mériter un sort si triste, sans compensation, qu'ils ne pouvaient éviter, qu'ils sont dans
l'impuissance de changer par eux-mêmes, et qui les met à la merci de la commisération publique.
Pourquoi donc des êtres si disgraciés, tandis qu'à côté, sous le même toit, dans la même famille,
d'autres sont favorisés sous tous les rapports ?
Que dire enfin de ces enfants qui meurent en bas âge et n'ont connu de la vie que les
souffrances ? Problèmes qu'aucune philosophie n'a encore pu résoudre, anomalies qu'aucune
religion n'a pu justifier, et qui seraient la négation de la bonté, de la justice et de la providence de
Dieu, dans l'hypothèse que l'âme est créée an même temps que le corps, et que son sort est
irrévocablement fixé après un séjour de quelques instants sur la terre. Qu'ont-elles fait, ces âmes
qui viennent de sortir des mains du Créateur, pour endurer tant de misères ici-bas, et mériter dans
l'avenir une récompense ou une punition quelconque, alors qu'elles n'ont pu faire ni bien ni mal ?
Cependant, en vertu de l'axiome que tout effet a une cause, ces misères sont des effets qui doivent
avoir une cause ; et dès lors qu'on admet un Dieu juste, cette cause doit être juste. Or, la cause
précédant toujours l'effet, puisqu'elle n'est pas dans la vie actuelle, elle doit être antérieure à cette
vie, c'est-à-dire appartenir à une existence précédente. D'un autre côté, Dieu ne pouvant punir
pour le bien qu'on a fait, ni pour le mal qu'on n'a pas fait, si nous sommes punis, c'est que nous
avons fait le mal ; si nous n'avons pas fait le mal dans cette vie, nous l'avons fait dans une autre.
C'est une alternative à laquelle il est impossible d'échapper, et dans laquelle la logique dit de quel
côté est la justice de Dieu.
L'homme n'est donc pas toujours puni, ou complètement puni dans son existence présente, mais il
n'échappe jamais aux conséquences de ses fautes. La prospérité du méchant n'est que
momentanée, et s'il n'expie aujourd'hui, il expiera demain, tandis que celui qui souffre en est à
l'expiation de son passé. Le malheur qui, au premier abord, semble immérité, a donc sa raison
d'être, et celui qui souffre peut toujours dire : «Pardonnez-moi, Seigneur, parce que j'ai péché.»
7. Les souffrances pour causes antérieures sont souvent, comme celles des fautes actuelles, la
conséquence naturelle de la faute commise ; c'est-à-dire que, par une justice distributive
rigoureuse, l'homme endure ce qu'il a fait endurer aux autres ; s'il a été dur et inhumain, il pourra
être à son tour traité durement et avec inhumanité ; s'il a été orgueilleux, il pourra naître dans une
condition humiliante ; s'il a été avare, égoïste, ou s'il a fait un mauvais usage de sa fortune, il
pourra être privé du nécessaire ; s'il a été mauvais fils, il pourra souffrir dans ses enfants, etc.
Ainsi s'expliquent, par la pluralité des existences, et par la destination de la terre, comme monde
expiatoire, les anomalies que présente la répartition du bonheur et du malheur entre les bons et les
méchants ici-bas. Cette anomalie n'existe en apparence que parce qu'on ne prend son point de vue
que de la vie présente ; mais si l'on s'élève, par la pensée, de manière à embrasser une série
d'existences, on verra qu'il est fait à chacun la part qu'il mérite, sans préjudice de celle qui lui est
faite dans le monde des Esprits, et que la justice de Dieu n'est jamais interrompue.
L'homme ne doit jamais perdre de vue qu'il est sur un monde inférieur où il n'est maintenu que
par ses imperfections. A chaque vicissitude, il doit se dire que s'il appartenait à un monde plus
avancé cela n'arriverait pas, et qu'il dépend de lui de ne plus revenir ici-bas, en travaillant à son
amélioration.
8. Les tribulations de la vie peuvent être imposées à des Esprits endurcis, ou trop ignorants pour
faire un choix en connaissance de cause, mais elles sont librement choisies et acceptées par des
Esprits repentants qui veulent réparer le mal qu'ils ont fait et s'essayer à mieux faire. Tel est celui
qui, ayant mal fait sa tâche, demande à la recommencer pour ne pas perdre le bénéfice de son
travail. Ces tribulations sont donc à la fois des expiations pour le passé qu'elles châtient, et des
épreuves pour l'avenir qu'elles préparent. Rendons grâces à Dieu qui, dans sa bonté, accorde à
l'homme la faculté de la réparation, et ne le condamne pas irrévocablement sur une première
faute.
9. Il ne faudrait pas croire cependant que toute souffrance endurée ici-bas soit nécessairement
l'indice d'une faute déterminée ; ce sont souvent de simples épreuves choisies par l'Esprit pour
achever son épuration et hâter son avancement. Ainsi l'expiation sert toujours d'épreuve, mais
l'épreuve n'est pas toujours une expiation ; mais, épreuves ou expiations, ce sont toujours les signes d'une infériorité relative, car ce qui est parfait n'a plus besoin d'être éprouvé. Un Esprit
peut donc avoir acquis un certain degré d'élévation, mais, voulant avancer encore, il sollicite une
mission, une tâche à remplir, dont il sera d'autant plus récompensé, s'il en sort victorieux, que la
lutte aura été plus pénible. Telles sont plus spécialement ces personnes aux instincts
naturellement bons, à l'âme élevée, aux nobles sentiments innés qui semblent n'avoir apporté rien
de mauvais de leur précédente existence, et qui endurent avec une résignation toute chrétienne les
plus grandes douleurs, demandant à Dieu de les supporter sans murmure. On peut, au contraire,
considérer comme expiations les afflictions qui excitent les murmures et poussent l'homme à la
révolte contre Dieu.
La souffrance qui n'excite pas de murmures peut sans doute être une expiation, mais c'est l'indice
qu'elle a été plutôt choisie volontairement qu'imposée, et la preuve d'une forte résolution, ce qui
est un signe de progrès.
10. Les Esprits ne peuvent aspirer au parfait bonheur que lorsqu'ils sont purs : toute souillure leur
interdit l'entrée des mondes heureux. Tels sont les passagers d'un navire atteint de la peste,
auxquels l'entrée d'une ville est interdite jusqu'à ce qu'ils se soient purifiés. C'est dans leurs
diverses existences corporelles que les Esprits se dépouillent peu à peu de leurs imperfections.
Les épreuves de la vie avancent quand on les supporte bien ; comme expiations, elles effacent les
fautes et purifient ; c'est le remède qui nettoie la plaie et guérit le malade ; plus le mal est grave,
plus le remède doit être énergique. Celui donc qui souffre beaucoup doit se dire qu'il avait
beaucoup à expier, et se réjouir d'être bientôt guéri ; il dépend de lui, par sa résignation, de rendre
cette souffrance profitable, et de n'en pas perdre le fruit par ses murmures, sans quoi ce serait à
recommencer pour lui.
Causes actuelles des afflictions.
Les vicissitudes de la vie sont de deux sortes, ou, si l'on veut, ont deux sources bien différentes
qu'il importe de distinguer ; les unes ont leur cause dans la vie présente, les autres en dehors de
cette vie.
En remontant à la source des maux terrestres, on reconnaîtra que beaucoup sont la conséquence
naturelle du caractère et de la conduite de ceux qui les endurent.
Que d'hommes tombent par leur propre faute ! Combien sont victimes de leur imprévoyance, de
leur orgueil et de leur ambition !
Que de gens ruinés par défaut d'ordre, de persévérance, par inconduite ou pour n'avoir pas su
borner leurs désirs !
Que d'unions malheureuses parce qu'elles sont un calcul d'intérêt ou de vanité, et que le coeur n'y
est pour rien !
Que de dissensions, de querelles funestes on aurait pu éviter avec plus de modération et moins de
susceptibilité !
Que de maladies et d'infirmités sont la suite de l'intempérance et des excès de tous genres.
Que de parents sont malheureux dans leurs enfants, parce qu'ils n'ont pas combattu les mauvaises
tendances de ceux-ci dans leur principe ! Par faiblesse ou indifférence, ils ont laissé se
développer en eux les germes de l'orgueil, de l'égoïsme et de la sotte vanité qui dessèchent le
coeur, puis, plus tard, récoltant ce qu'ils ont semé, ils s'étonnent et s'affligent de leur manque de
déférence et de leur ingratitude.
Que tous ceux qui sont frappés au coeur par les vicissitudes et les déceptions de la vie interrogent
froidement leur conscience ; qu'ils remontent de proche en proche à la source des maux qui les
affligent, et ils verront si, le plus souvent, ils ne peuvent pas dire : Si j'avais fait, ou n'avais pas
fait telle chose, je ne serais pas dans telle position.
A qui donc s'en prendre de toutes ces afflictions, si ce n'est à soi-même ? L'homme est ainsi, dans
un grand nombre de cas, l'artisan de ses propres infortunes ; mais, au lieu de le reconnaître, il
trouve plus simple, moins humiliant pour sa vanité d'en accuser le sort, la Providence, la chance
défavorable, sa mauvaise étoile, tandis que sa mauvaise étoile est dans son incurie.
Les maux de cette nature forment assurément un très notable contingent dans les vicissitudes de
la vie ; l'homme les évitera quand il travaillera à son amélioration morale autant qu'à son
amélioration intellectuelle.
5. La loi humaine atteint certaines fautes et les punit ; le condamné peut donc se dire qu'il subit la
conséquence de ce qu'il a fait ; mais la loi n'atteint pas et ne peut atteindre toutes les fautes ; elle
frappe plus spécialement celles qui portent préjudice à la société, et non celles qui ne nuisent qu'à
ceux qui les commettent. Mais Dieu veut le progrès de toutes ses créatures ; c'est pourquoi il ne
laisse impunie aucune déviation du droit chemin ; il n'est pas une seule faute, quelque légère
qu'elle soit, pas une seule infraction à sa loi, qui n'ait des conséquences forcées et inévitables plus
ou moins fâcheuses ; d'où il suit que, dans les petites choses comme dans les grandes, l'homme
est toujours puni par où il a péché. Les souffrances qui en sont la suite sont pour lui un
avertissement qu'il a mal fait ; elles lui donnent l'expérience, lui font sentir la différence du bien
et du mal, et la nécessité de s'améliorer pour éviter à l'avenir ce qui a été pour lui une source de
chagrins, sans cela il n'aurait aucun motif de s'amender ; confiant dans l'impunité, il retarderait
son avancement, et par conséquent son bonheur futur.
Mais l'expérience vient quelquefois un peu tard ; quand la vie a été gaspillée et troublée, que les
forces sont usées et que le mal est sans remède, alors l'homme se prend à dire : Si au début de la
vie j'avais su ce que je sais maintenant, que de faux pas j'aurais évités ! Si c'était à recommencer,
je m'y prendrais tout autrement ; mais il n'est plus temps ! Comme l'ouvrier paresseux dit : J'ai
perdu ma journée, lui aussi se dit : J'ai perdu ma vie ; mais de même que pour l'ouvrier le soleil se
lève le lendemain, et une nouvelle journée commence qui lui permet de réparer le temps perdu,
pour lui aussi, après la nuit de la tombe, luira le soleil d'une nouvelle vie dans laquelle il pourra
mettre à profit l'expérience du passé et ses bonnes résolutions pour l'avenir.