Tout le monde a connu ce vendeur de crayons qui, monté sur une voiture richement décorée, affublé d'un casque brillant et d'un costume étrange a été pendant de longues années, une des célébrités des rues de Paris. Ce n'était pas un charlatan vulgaire, et ceux qui l'ont connu personnellement s'accordaient à lui reconnaître une intelligence peu commune, une certaine élévation dans la pensée, et des qualités morales au-dessus de sa profession nomade. Il est mort l'année dernière, et depuis il s'est communiqué plusieurs fois spontanément à l'un de nos médiums. D'après le caractère qu'on lui a connu, on ne sera pas surpris du vernis philosophique que l'on trouve dans ses communications. Paris, 20 décembre 1866, groupe de M. Desliens, médium, M. Bertrand. Le crayon Le crayon, c'est la parole de la pensée. Sans le crayon la pensée reste muette et incomprise de vos sens grossiers. Le crayon est l'âme offensive et défensive de la pensée ; c'est la main qui parle et se défend. Le crayon !… et surtout le crayon Mangin !… Oh ! pardon… voilà que je deviens égoïste !… Mais pourquoi ne pourrais-je pas, comme autrefois, faire l'éloge de mes crayons ? Ne sont-ils pas bons ?… Avez-vous à vous en plaindre ? Ah ! si j'étais encore sur mon véhicule français avec mon costume romain… vous me croiriez… Je savais si bien faire mon boniment, et le pauvre badaud croyait blanc ce qui était noir, tout simplement parce que Mangin, le célèbre charlatan, l'avait dit !… J'ai dit charlatan… Non, il faut dire bonisseur… Allons ! les chalands, dénouez les cordons de votre bourse ; achetez de ces superbes crayons plus noirs que l'encre et durs comme pierre… Accourez, accourez, la vente va finir !… Ah ! çà, qu'est-ce que je dis donc ?… Je crois, ma foi, que je me trompe de rôle, et que je finis fort mal, après avoir bien commencé… Vous tous, armés de crayons, assis autour de cette table, allez dire et prouvez aux journalistes orgueilleux que Mangin n'est pas mort. Allez dire à ceux qui ont oublié ma marchandise, parce que je n'étais plus là pour leur faire croire à ses étonnantes qualités, allez dire à tout ce monde que je vis encore et que, si je suis mort, c'était pour mieux vivre… Ah ! MM. les journalistes, vous vous moquiez de moi, et pourtant si, au lieu de me considérer comme un charlatan escamotant la monnaie humaine, vous m'eussiez étudié plus attentivement et philosophiquement vous auriez reconnu un être ayant des réminiscences de son passé. Vous auriez compris le pourquoi de mon goût pour ce costume guerrier romain, le pourquoi de cet amour des harangues en place publique. Vous auriez dit alors que, sans doute, j'avais été soldat ou général romain et vous ne vous seriez pas trompés. Allons ! allons ! achetez donc des crayons, usez-en ; mais servez-vous-en utilement, non comme moi pour pérorer sans motif, mais pour propager cette belle doctrine que beaucoup d'entre vous ne suivent que de trop loin. Armez-vous donc de vos crayons, et frayez-vous une large route dans ce monde d'incrédulité. Faites toucher du doigt, à tous ces saint Thomas incrédules les sublimes vérités de Spiritisme qui feront qu'un jour tous les hommes seront frères. Mangin. Groupe de M. Delanne ; 14 janvier 1867. Médium, M. Bertrand Le papier J'ai parlé de crayon et de charlatanisme, mais je n'ai pas encore parlé du papier. C'est que sans doute je me réservais cela pour ce soir. Ah ! que je voudrais être papier ; non lorsqu'il s'avilit à faire le mal, mais, au contraire, quand il remplit son véritable rôle qui est de faire le bien ! En effet, le papier est l'instrument qui, de concert avec le crayon, sème çà et là les nobles pensées de l'esprit. Le papier est le livre ouvert où chacun peut puiser du regard les conseils utiles à son voyage terrestre !… Ah ! que je voudrais être papier, afin de remplir comme lui le rôle de moralisateur et d'instructeur, donnant à chacun les encouragements nécessaires pour supporter courageusement les maux qui sont si souvent causes de tant de honteuses faiblesses !… Ah ! si j'étais papier, j'abolirais toutes les lois égoïstes et tyranniques, pour ne laisser rayonner que celles qui proclament l'égalité. Je ne voudrais parler que d'amour et de charité. Je voudrais que tous soient humbles et bons, que le méchant devienne meilleur, que l'orgueilleux devienne humble, que le pauvre devienne riche, que l'égalité enfin se fasse jour et soit, dans toutes les bouches, comme l'expression de la vérité, et non dans l'espérance de cacher l'égoïsme et la tyrannie qui possèdent le cœur. Si j'étais papier, je voudrais être blanc pour l'innocence, vert pour celui qui n'a pas l'espérance d'un soulagement à ses maux. Je voudrais être de l'or dans les mains du pauvre, du bonheur dans les mains de l'affligé, du baume dans celles du malade. Je voudrais être le pardon de toutes les offenses. Je ne condamnerais point, je ne maudirais point, je ne lancerais point l'anathème ; je ne critiquerais point avec malveillance ; je ne dirais rien qui puisse faire tort à autrui. Enfin, je ferais ce que vous faites : je ne voudrais qu'enseigner le bien et parler de cette belle doctrine qui vous réunit tous et sous toutes les formes ; je professerais toujours cette sublime maxime : Aimez-vous les uns et les autres. Celui qui voudrait revenir sur terre, non charlatan, non pour vendre seulement des crayons, mais pour y joindre la vente du papier, et qui dirait à tous : le crayon ne peut être utile sans le papier et le papier ne peut se passer du crayon. Mangin. La Solidarité Paris, 26 novembre 1866, médium M. Sabb… Gloire à Dieu, et paix aux hommes de bonne volonté ! L'étude du Spiritisme ne doit pas être vaine. Pour certains hommes légers, elle est un amusement ; pour les hommes sérieux, elle doit être sérieuse. Réfléchissez à une chose avant toutes. Vous n'êtes pas sur la terre pour y vivre à la façon des bêtes, pour y végéter à la manière des graminées ou des arbres. Les graminées et les arbres ont la vie organique, ils n'ont pas la vie intelligente, de même que les animaux n'ont pas la vie morale. Tout vit, tout respire dans la nature, l'homme seul sent et se sent. Que ceux-là sont insensés et à plaindre, qui se méprisent assez pour se comparer à un brin d'herbe, ou à un éléphant ! Ne confondons ni les genres ni les espèces. Ce ne sont pas de grands philosophes et de grands naturalistes qui voient dans le Spiritisme, par exemple, une nouvelle édition de la métempsycose, et surtout d'une métempsycose absurde. La métempsycose est le rêve d'un homme d'imagination, elle n'est pas autre chose. Un animal, un végétal produit son congénère, rien de plus ni rien de moins. Ceci soit dit, pour empêcher de vieilles idées fausses de s'accréditer de nouveau, à l'ombre du Spiritisme. Homme, soyez homme ; sachez d'où vous venez et où vous allez. Vous êtes l'enfant aimé de celui qui a tout fait et qui vous a donné une fin, une destinée que vous devez accomplir sans la connaître absolument. Étiez-vous nécessaire à ses desseins, à sa gloire, à son propre bonheur ? Questions oiseuses, puisqu'elles sont insolubles. Vous Êtes, soyez-en reconnaissant ; mais être n'est pas tout, il faut être selon les lois du Créateur qui sont vos propres lois. Lancé dans l'existence, vous êtes tout à la fois cause et effet. Ni comme cause, ni comme effet, vous ne pouvez, au moins quant à présent, déterminer votre rôle, mais vos lois vous pouvez les suivre. Or, la principale est celle-ci : L'homme n'est pas un être isolé, il est un être collectif. L'homme est solidaire de l'homme. C'est en vain qu'il cherche le complément de son être, c'est-à-dire le bonheur en lui-même ou dans ce qui l'entoure isolément : il ne peut le trouver que dans l'homme ou l'humanité. Vous ne faites donc rien pour être personnellement heureux, tant que le malheur d'un membre de l'humanité, d'une partie de vous-même, pourra vous affliger. C'est de la morale que je vous enseigne là, me direz-vous, or la morale est un vieux lieu commun. Regardez autour de vous, qu'y a-t-il de plus ordinaire, de plus commun que le retour périodique du jour et de la nuit, que le besoin de vous nourrir et de vous vêtir ? C'est à cela que tendent tous vos soins, tous vos efforts. Il le faut, la partie matérielle de votre être l'exige. Mais votre nature n'est-elle pas double, et n'êtes-vous pas plus esprit que corps ? Comment donc se fait-il qu'il vous soit plus dur de vous entendre rappeler les lois morales que d'appliquer à tout instant les lois physiques ? Si vous étiez moins préoccupés et moins distraits, cette répétition ne serait pas aussi nécessaire. Ne nous écartons pas de notre sujet : Le Spiritisme bien compris est à la vie de l'âme ce que le travail matériel est à la vie du corps. Occupez-vous-en dans ce but, et tenez pour certain que lorsque vous aurez fait, pour vous améliorer moralement, la moitié de ce que vous faites pour améliorer votre existence matérielle, vous aurez fait faire un grand pas à l'humanité. un Esprit. Tout vient en son temps Odessa, groupe de famille, 1866. Médium, mademoiselle M… Question. – En lisant, dans la Vérité de 1866, les expériences magnétiques, j'en étais émerveillé, et je pensais en moi-même que cette force si étonnante pouvait peut-être être la cause de toutes les merveilles, de toutes les beautés, incompréhensibles pour nous, des planètes supérieures, et dont les Esprits nous donnent des descriptions. Je prie les bons Esprits de m'éclairer à ce sujet ? Réponse. – Pauvres hommes ! L'avidité de savoir, l'impatience dévorante de lire dans le livre de la création, tout vous tourne la tête et éblouit vos yeux habitués à l'obscurité, lorsqu'ils tombent sur quelques passages que votre esprit, encore esclave de la matière, ne peut comprendre. Mais, ayez patience, les temps sont arrivés. Déjà le grand architecte commence à dérouler peu à peu devant vos yeux le plan de l'édifice de l'univers, déjà il soulève un coin du voile qui vous cache la vérité, et un rayon de lumière vous éclaire. Contentez-vous de ces prémices ; habituez vos yeux à la douce clarté de l'aurore, jusqu'à ce qu'ils puissent supporter la splendeur du soleil brillant dans tout son éclat. Remerciez le Tout-Puissant, dont la bonté infinie ménage votre faible vue, en levant graduellement le voile qui la couvre. S'il l'enlevait tout d'un coup, vous seriez éblouis et ne verriez rien ; vous retomberiez dans le doute, dans la confusion, dans l'ignorance dont vous sortez à peine. Il vous a été dit déjà que tout vient en son temps : ne le devancez pas par votre trop grande avidité de tout savoir. Laissez au Maître le choix de la méthode qu'il juge la plus convenable pour vous instruire. Vous avez devant vous un sublime ouvrage : « la nature, son essence, ses forces ; » il commence par l'A B C. Apprenez donc d'abord à épeler, à comprendre ces premières pages ; progressez avec patience et persévérance, et vous arriverez jusqu'à la fin, tandis qu'en sautant des pages et des chapitres, l'ensemble vous paraît incompréhensible. Il n'est pas d'ailleurs dans les desseins du Tout-Puissant que l'homme sache tout. Conformez-vous donc à sa volonté, elle a pour but votre bien. Lisez dans le grand livre de la nature ; instruisez-vous, éclairez votre esprit, contentez-vous de savoir ce que Dieu juge à propos de vous apprendre pendant votre séjour sur la terre ; vous n'aurez pas le temps d'arriver jusqu'à la dernière page, et vous ne la lirez que lorsque vous serez détachés de la matière, lorsque vos sens spiritualisés vous permettront de le comprendre. Oui, mes amis, apprenez et instruisez-vous, et, avant tout, progressez en moralité par l'amour du prochain, par la charité, par la foi : c'est l'essentiel, c'est le passeport à la vue duquel les portes du sanctuaire infini vous sont ouvertes. Humbolt Respect dû aux croyances passées Paris, groupe Delanne, 4 février 1867. Médium, M. Morin La foi aveugle est le plus mauvais de tous les principes ! Croire avec ferveur à un dogme quelconque, lorsque la saine raison se refuse à l'accepter comme une vérité, c'est faire acte de nullité et se priver volontairement du plus beau de tous les dons que nous ait faits le Créateur ; c'est renoncer à la liberté de juger, au libre arbitre qui doit présider à toutes choses dans la mesure de la justice et de la raison. Généralement, les hommes sont insouciants et ne croient à une religion que par acquit de conscience, et pour ne pas rejeter tout à fait ces bonnes et douces prières qui ont bercé leur jeunesse, et que leur mère leur apprenait auprès du foyer, lorsque le soir apportait avec lui l'heure du sommeil ; mais si ce souvenir se présente quelquefois à leur esprit, c'est le plus souvent avec un sentiment de regret qu'ils font un retour vers ce passé où les soucis de l'âge mûr étaient encore enfouis dans la nuit de l'avenir. Oui, tout homme regrette cet âge d'insouciance, et bien peu peuvent songer à leurs jeunes années !… Mais qu'en reste-t-il un instant après ?… – Rien !… J'ai commencé à dire que la foi aveugle était pernicieuse ; mais il ne faudrait pas toujours rejeter comme foncièrement mauvais tout ce qui paraît entaché d'abus, composé d'erreurs et surtout inventé à plaisir pour la gloire des orgueilleux et le bénéfice des intéressés. Spirites, vous devez savoir mieux que personne que rien ne s'accomplit sans la volonté du Maître suprême ; c'est donc à vous de bien réfléchir avant de formuler votre jugement. Les hommes sont vos frères incarnés, et il est possible que nombre de travaux des temps anciens soient vos œuvres accomplies dans une existence antérieure. Les Spirites doivent avant tout être logiques avec leur enseignement, et ne point jeter la pierre aux institutions et aux croyances d'un autre âge, par cela seul qu'elles sont d'un autre âge. La société actuelle a eu besoin, pour devenir ce qu'elle est, que Dieu lui départît peu à peu la lumière et le savoir. Il ne vous appartient donc pas de juger si les moyens employés par lui étaient bons ou mauvais. N'acceptez que ce qui vous semble rationnel et logique ; mais n'oubliez pas que les vieilles choses ont eu leur jeunesse, et que ce que vous enseignez aujourd'hui deviendra vieux à son tour. Respect donc à la vieillesse ! Les vieillards sont vos pères, comme les vieilles choses ont été les précurseurs des choses nouvelles. Rien ne vieillit, et si vous manquez à ce principe pour tout ce qui est vénérable, vous manquez à votre devoir, vous mentez à la doctrine que vous professez. Les vieilles croyances ont élaboré la rénovation qui commence à s'accomplir !… Toutes, en tant qu'elles n'étaient pas exclusivement matérielles, possédaient une étincelle de la vérité. Regrettez les abus qui se sont introduits dans l'enseignement philosophique, mais pardonnez aux erreurs d'un autre âge, si vous voulez à votre tour être excusés dans les vôtres ultérieurement. Ne donnez pas votre foi à ce qui vous paraît mauvais, mais ne croyez pas non plus que tout ce qui vous est enseigné aujourd'hui soit l'expression de la vérité absolue. Croyez qu'à chaque époque Dieu élargit l'horizon des connaissances en raison du développement intellectuel de l'humanité. Lacordaire. La Comédie humaine Paris, groupe Desliens, 29 novembre 1866. Médium, M. Desliens La vie de l'Esprit incarné est comme un roman, ou plutôt comme une pièce de théâtre, dont chaque jour on parcourrait un feuillet contenant une scène. L'auteur, c'est l'homme ; les personnages sont les passions, les vices et les vertus, la matière et l'intelligence, se disputant la possession du héros qui est l'Esprit. Le public, c'est le monde en général pendant l'incarnation, les Esprits dans l'erraticité, et le censeur qui examine la pièce pour la juger en dernier ressort et décerner un blâme ou une louange à l'auteur, c'est Dieu. Faites donc en sorte de vous faire applaudir le plus souvent possible et de n'entendre que rarement le bruit du sifflet résonner désagréablement à votre oreille. Que l'intrigue soit toujours simple, et ne cherchez l'intérêt que dans les situations naturelles qui puissent servir à faire triompher la vertu, à développer l'intelligence et à moraliser le public. Pendant l'exécution de l'œuvre, la cabale mise en mouvement par l'envie, peut essayer de critiquer les meilleurs passages, et n'encenser que ceux qui sont médiocres ou mauvais. Fermez l'oreille à ces flatteries, et souvenez-vous que la postérité vous appréciera à votre juste valeur ! Vous laisserez un nom obscur ou illustre, entaché de hontes ou couvert de gloire selon le monde ; mais, lorsque la pièce sera finie et que le rideau, tiré sur la dernière scène, vous mettra en présence du régisseur universel, du directeur infiniment puissant du théâtre où se passe la comédie humaine, il n'y aura ni flatteurs, ni courtisans, ni envieux, ni jaloux : vous serez seuls avec le juge suprême, impartial, équitable, juste. Que votre œuvre soit sérieuse et moralisatrice, car c'est la seule qui ait quelque poids dans la balance du Tout-Puissant. Il faut que chacun rende à la société au moins ce qu'il en reçoit. Celui qui, en ayant reçu l'assistance corporelle et spirituelle qui lui permet de vivre, s'en va sans restituer au moins ce qu'il a dépensé, est un voleur, car il a gaspillé une part du capital intelligent et il n'a rien produit. Tout le monde ne peut pas être homme de génie, mais tous peuvent et doivent être honnêtes, bons citoyens, et rendre à la société ce que la société leur a prêté. Pour que le monde soit en progrès, il faut que chacun laisse un souvenir utile de sa personnalité, une scène de plus à ce nombre infini de scènes utiles que les membres de l'humanité ont laissées depuis que votre terre sert de lieu d'habitation à des Esprits. Faites donc qu'on lise avec intérêt chacun des feuillets de votre roman, et qu'on ne le parcoure pas seulement du regard, pour le fermer avec ennui, avant d'en avoir lu la moitié.
Eugène Sue
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