200. – La Doctrine chrétienne sait-elle bien à quoi s'en tenir sur cette troisième personne de la Trinité si fort négligée, si bien tenue en arrière des deux autres ? Il est permis d'en douter, et tel est peut-être le motif du silence un peu relatif que l'Eglise conserve à son égard. – Essayons donc, à l'aide de l'enseignement des Esprits venant expliquer les Livres canoniques, tels du moins qu'ils nous sont parvenus, de rétablir la vérité. Qu'entendaient, les premiers-chrétiens par l'Esprit saint ? Donnaient-ils à ces mots le sens que leur attribuent de nos jours les différentes sectes, chrétiennes, celui de l'une des personnes d'un Dieu un ? – Telle est la question. Pour en faciliter l'étude, nous commencerons, comme nous l'avons fait pour la section précédente, par reproduire deux des réponses que nous avons obtenues sur l'Esprit saint. Nous examinerons ensuite si ces réponses sont confirmées ou détruites par les Evangiles. PREMIÈRE COMMUNICATION 201. – Dem. – Pouvez-vous me dire ce qu'était l'Esprit saint pour les premiers chrétiens ?
Rép. – Je vais vous expliquer comment la croyance des premiers chrétiens a été dénaturée en celle du Saint-Esprit, troisième personne de Dieu ! Quelle lamentable histoire, mon ami, que celle des erreurs qui se sont produites après la mort de Jésus ; que celle de cette foule de sectes venant dénaturer, comme à plaisir, ses enseignements : enseignements sublimes dans leur simplicité magnifique ! Les premiers chrétiens appelaient Esprits saints ce que vous nommez les bons Esprits ; mais ils désignaient plus particulièrement ainsi ce que, plus tard, on appela l'Esprit familier et, plus tard encore, l'ange gardien, c'est-à-dire l'Esprit auquel chaque incarné est plus particulièrement confié. L'Esprit saint était donc, pour chacun d'eux, son Frère spirite, son Paraclet... (Décembre 1864.) SECONDE COMMUNICATION 202. – Dem. – One faut-il entendre par Paraclet ? Rép. – Le Paraclet n'est autre que l'Esprit saint ou gardien. Ce sont là des mots exprimant la même-chose. Dem. – Il m'a été dit que l'élévation de l'Esprit gardien était en rapport avec le degré d'élévation de l'Esprit incarné. S'il en est ainsi, l'Esprit gardien des Apôtres, de ceux qui avaient été associés par Jésus à sa mission, devait être d'un ordre supérieur, et alors comment expliquer les erreurs du Christianisme dès sa naissance ?
Rép. – Je te répondrai d'abord que les erreurs du Christianisme sont postérieures aux Apôtres. Mais j'ajoute aussitôt que tu te fais une idée fausse de l'influence que peut exercer l'Esprit gardien. Les premiers disciples n'avaient-ils pas, comme tout incarné, leur libre arbitre ? Crois-tu donc qu'ils n'avaient qu'à se conformer à un enseignement tout tracé par les Esprits ? Qu'ils ne fussent que des instruments entre leurs mains ? Que leur seul mérite ait été d'obéir ? Crois-tu que les Esprits eux-mêmes pussent donner aux premiers chrétiens des enseignements au delà d'une certaine limite ? Non ; l’assistance des Esprits n'a jamais pu que constituer une aide, puisque, autrement, elle eût supprimé le libre arbitre chez l'incarné et, avec le libre arbitre, le mérite de celui-ci et le bénéfice de l'incarnation. Dem. – Plusieurs Esprits m'ont dit que les premiers chrétiens entendaient par Esprit Saint, non seulement l'Esprit gardien, mais encore tout bon Esprit. Rép. – Tu as mal compris. Les mots d'Esprit Saint servaient d'abord à désigner les Esprits que vous réunissez sous la qualification de bons Esprits. Mais, plus tard, ils furent attribués à l'Esprit gardien. D'un sens général on est arrivé à un sens spécial. (Janvier 1865.). 203. – Si l'on vient à rapprocher ces réponses d'autres communications éparses dans ce livre, on est amené à en déduire les conséquences suivantes : 1°. Qu'à tous les âges du monde, les Esprits incarnés ont pu entrer en communication, tout au moins mentale, avec leurs frères non incarnés. 2° Que tout Esprit incarné a un Esprit protecteur, l'ange gardien de la doctrine catholique ; que cet Esprit a pour mission, – mission que nous pourrions dire intéressée, – de guider, de conseiller celui-ci ; 3° Que l'Esprit gardien est, comme élévation, en rapport avec le degré d'avancement de l'incarné ; 4° Que les premiers chrétiens donnaient, d'une façon générale, le nom d'Esprit, saint à tout bon 124 Esprit ; que bientôt, ce sens général se spécialisant, le nom d'Esprit saint fut plus particulièrement réservé à l'Esprit gardien ou Paraclet ; 5° Qu'après la mort des Apôtres et au milieu des discussions philosophiques et théologiques qui envahirent la Judée comme tout l'Orient, et une fois la tradition primitive perdue, cette notion de l'Esprit saint comme Esprit gardien dégénéra en celle du Saint Esprit, troisième personne de Dieu et Dieu lui-même. – Une circonstance dut favoriser cette erreur : les premiers chrétiens savaient que la production des phénomènes était due à des Esprits ; mais, dans leur ignorance absolue de l'existence de ce que la science moderne a appelé « des fluides », des phénomènes échappait à leur intelligence, de telle sorte qu'ils les attribuèrent à une cause surnaturelle. De la cause surnaturelle à la divinisation de cette cause, il n'y avait qu'un pas. 204. – Nous allons voir si les Livres canoniques vont être en rapport avec les énonciations qui précèdent ; mais auparavant, faisons une première observation d'où va ressortir le sens vrai du mot Paraclet. Nous ignorons assurément qui, le premier, a traduit en français le mot παράxλητοϛ (paraclêtos) par celui de consolateur. Ce n'est pas, au surplus, de la traduction que nous devons nous occuper, mais du mot original et du sens de ce mot dans la langue grecque. Or, avons-nous dit plus haut, le dictionnaire à la main, le mot paraclêtos signifie en grec : avocat, intercesseur, exhortateur. Le sens d'exhortateur parait être le véritable et c'est l'auteur de la Vulgate qui va se charger de le démontrer.
Dans la première Epître aux Corinthiens (XIV, 3) se rencontre le passage suivant : ο δε προφηθεύων άνθρώποι λαλεῖ οἰxοδομὴν xαὶ παράxλησιν (o dé prophêtheuôn anthrôpoïs laleï oikodomèn kaï paraklêssîn), ce que saint Jérôme a traduit : nam qui prophêtat hominibus loquitur ad ædi ficationem et EXHORTATIONEM (Celui qui prophétise parle aux hommes pour la consolidation (de l'édifice) et l’exhortation). Or si, d'après saint Jérôme, le substantif παράxλησιϛ (paraklèsis) doit être pris dans le sens d'exhortation, il est bien clair que l'adjectif παράxλητοϛ (paraklètos) doit être pris dans le sens d'exhortateur. ‒ (Esprit exhortateur, Esprit gardien.) Par conséquent, lorsque, dans l'Evangile de saint Jean, écrit en vue des chrétiens-grecs d'Ephèse, on rencontre au chapitre XIV, 26, ces mots : ο δε παράxλητοϛ (Mais le Paraclet), suivis comme explication pour les chrétiens-hébreux de ceux de : τὸ πνεῠμα τἄ ὸγιον (l'Esprit le saint), il faut en conclure que si les mots : l'Esprit le saint équivalent à Paraclet, et celui de Paraclet à exhortateur, l'Esprit saint n'est autre que l'Esprit exhortateur, c'est-à-dire : l'Esprit gardien. 205. ‒ Cette observation faite, entrons dans le détail des versets dans lesquels les mots Esprit saint sont prononcés dans les Evangiles. Si l'on consulte leur texte grec, une chose frappe immédiatement l'attention : c'est le petit nombre de fois où les mots Esprit saint y sont employés. Dans saint Matthieu on ne le rencontre que cinq fois ; Dans saint Marc que trois fois ; Dans saint Luc que dix fois dont huit dans les trois premiers chapitres, qui sont évidemment une addition ; Dans saint Jean que trois fois. Par contre, et notamment dans le quatrième Evangéliste, le mot Esprit (pneuma) sans qualificatif, se rencontre à chaque instant, Seulement saint Jérôme ajoute quelquefois le qualificatif saint, qui n'est pas dans l'original, et les traductions françaises toujours, de telle sorte que lorsque le texte grec porte seulement le mot Esprit, on arrive dans le latin quelquefois et, dans le français, toujours, à avoir les mots Esprit saint. Exemple. Saint Jérôme traduit ainsi le verset 5 du chapitre III de saint Jean. « Amen dico tibi : Nisi quis renatus fuerit ex aquâ et Spiritu sancto, non potest introire in regnum Dei. » Ce que l'on a traduit en français : « En vérité, je te dis : quiconque ne renaît par l'eau et par l'Esprit saint ne peut entrer dans le royaume de Dieu ».
Que l'on remonte au texte grec, et l'on verra, qu'il n'y est nullement question d'Esprit saint, mais simplement d'Esprit. Par conséquent, saint Jérôme, et à sa suite les traducteurs français de la Vulgate, ont fait un contresens. Pourquoi ce contresens ? Parce que, pour comprendre régulièrement, il faut la lumière que nous rend l'enseignement des Esprits. Voici, au surplus, le passage de saint Jean, auquel il est fait allusion et, dont le sens rectifié est indiqué entre parenthèses. ‒ Jésus s'adresse à Nicodème et lui dit (ch. III) : 3. ‒ En vérité, en vérité, je te le dis : Si quelqu'un ne naît de nouveau (ne ressuscite, ne meurt à la vie corporelle), il ne peut voir le royaume de Dieu. 4. ‒ Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître, alors qu'il est déjà vieux ? Est-ce qu'il peut entrer une seconde fois dans le sein de sa mère, puis renaître ? 5. ‒ Jésus répondit : Quiconque ne naît par l'eau et par l'Esprit (quiconque en un mot ne ressuscite) ne peut entrer dans le royaume de Dieu ; 6. ‒ Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'esprit est Esprit . 125Maintenant, pourquoi saint Jérôme a-t-il été conduit à ajouter le mot saint et à rendre par Esprit saint un texte qui porte seulement le mot Esprit ? Parce que trois cent Cinquante ans environ s'étaient écoulés depuis la mort de Jésus, au milieu des discussions philosophiques et religieuses dont nous n'avons pu donner qu'une idée bien amoindrie ; parce que saint Jérôme, secrétaire du Pape, traduisait, au lendemain du Concile de Nicée, avec les idées imposées par ce Concile et par Constantin qui le présidait. 206. ‒ Les Epitres fournissent l'occasion de faire une singulière remarque sur cette question de l'Esprit telle qu'elle est présentée par l'Eglise. Il y a 21 Epitres dites canoniques, écrites par cinq Apôtres différents, parmi lesquels nous rangeons saint Paul, bien qu'il n'ait jamais fait partie des Douze. Ces Epitres, à l'exception de celle aux Hébreu, pour laquelle la formule initiale a été omise par l'un des premiers copistes, commencent et finissent, suivant l'usage de l'Orient, par une salutation. On nous dispensera de reproduire ici, avec leurs variantes d'ailleurs insignifiantes, les 20 salutations initiales, et les 20 salutations finales de ces Epitres . Si l'on s'y reporte, il sera 126facile de voir que ces salutations peuvent être ramenées aux formules suivantes : Salutation initiale : La grâce et la paix de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ (ou quelquefois : et du Seigneur Jésus). Salutation finale : La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit sur vous. Quelques Epitres portent : soit avec votre Esprit . 127De l'Esprit saint, il n'en est pas une seule fois question ! Mais pourquoi donc ? Comment ! suivant l'Eglise, l'Esprit Saint, aux yeux des Apôtres, aurait été Dieu, et les Apôtres n'auraient pas adressé aux fidèles la Grâce et la Paix, en son nom, comme ils l'adressaient au nom de Dieu Notre Père et du Seigneur Jésus ! Tous, sans exception, ils auraient commis cet incompréhensible oubli, cet inconcevable manque de respect vis-à-vis de cette troisième personne de Dieu, égale cependant aux deux autres !... De quelle manière expliquer une coïncidence aussi étrange que cette omission générale ?
D'une façon toute simple : c'est qu'au moment où les Apôtres écrivaient leurs Epîtres, l'Esprit saint n'était que ce qu'il est réellement, l'Esprit exhortateur, le Paraclet, l'Esprit familier ou gardien ; c'est que la Trinité enfin n'était pas encore sortie des controverses de la dernière moitié du IIe siècle. On opposera sans doute à ces observations le verset 19 du chap. XXVIII de saint Matthieu sur lequel repose tout l'édifice de la Trinité : 19. ‒ « Allez donc enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et de l'Esprit saint. » Nous pourrions répondre : Nous avons prouvé, de manière à convaincre les plus prévenus, croyons-nous, que Jésus n'était qu'un Esprit de l'ordre le plus élevé sans doute, mais un Esprit de la même nature que les autres ; que, par conséquent, la Trinité n'existait pas. ‒ Mais nous ajoutons : ce verset ne signifie rien, car si dans la pensée des Evangélistes un dogme aussi fondamental que celui de la Trinité était sorti des enseignements de Jésus, ils n'eussent pas manqué d'y faire allusion dans leurs Evangiles, tout au moins en reproduisant les paroles que saint Matthieu place dans la bouche du Maître Or, que peut-on constater lorsque l'on compare les- divers Evangiles l'un à l'autre ? C'est que, l'Evangile de saint Matthieu n'est en concordance, ni avec l’Evangile de saint Marc, disciple de saint Pierre, ni avec celui de saint Luc, disciple de saint Paul. Quant à l'Evangile de saint Jean, il n'y est pas fait une allusion qui, de près ou de loin, puisse se rapporter aux paroles attribuées à Jésus par saint Matthieu. Voici, en effet, comment s'exprime saint Marc (XVI) : 15. ‒ Et Jésus leur dit : Allez dans le monde entier et prêchez l'Evangile à toute créature. Voici comment parle saint Luc (XXIV) : 46. ‒ Et il leur dit : C'est ainsi qu'il est écrit et qu'il fallait que Christ souffrît, qu'il ressuscitât des morts le troisième jour. 47 ‒ Et que fût prêchée en son nom la pénitence et la rémission des péchés parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem.
Donc, notons bien ceci : c'est que les trois premiers évangélistes sont en complet désaccord sur les paroles qu'ils prêtent à Jésus à l'égard d'un même fait, et que le quatrième n'en dit pas un mot. De l'Esprit saint, il n'en est question, que dans saint Matthieu. 207 ‒ Que Jésus ait fait à ses Apôtres la recommandation de répandre sa doctrine, cela ne saurait faire doute ; mais qu'il l'ait faite dans les termes rapportés par l'un des trois premiers Evangélistes, cela n'est pas... En voici la preuve : On sait qu'après sa conversion, saint Paul soutenant que l'Evangile s'adressait à tous les hommes, se mit à prêcher le Christianisme aux Gentils, et cela trois ans durant, pendant lesquels il ne se trouva pas une seule fois en rapport avec les Apôtres . Les rares Apôtres restés à Jérusalem, 128 saint Pierre et saint Jacques à leur tête, soutenaient, au contraire, que l’Evangile était réservé au peuple de Dieu, aux hommes de la Circoncision. De là, des luttes dont l'Epître aux Galates nous apporte l'irrécusable témoignage et qui ne se terminèrent qu'environ quinze ans après la mort 129 de Jésus, dans ce premier Gonelle de Jérusalem, qu'il serait plus exact d'appeler le Compromis de Jérusalem, puisqu’afin d'arriver à rétablir la paix dans l'Eglise déjà désunie, saint Pierre et saint Paul furent amenés à se faire de mutuelles concessions, notamment sur la question des circoncis et des incirconcis. ‒ Or, le simple raisonnement ne dit-il pas que si Jésus avait prononcé les paroles que lui prête saint Matthieu, ou seulement celles que saint Marc et saint Luc mettent dans sa bouche, la difficulté qui séparait saint Pierre et saint Paul n'aurait pas même pu se produire. On n'aurait pas eu, en effet, à agiter la question de savoir si l'Evangile s'adressait au peuple juif seulement, ou d'une manière générale aux Juifs et aux Gentils (gentes), puisque cette question aurait été tranchée par Jésus lui-même dans des termes aussi clairs que ceux-ci : Enseignez toutes les nations (Saint Matthieu) ; Prêchez l'Evangile à toute créature (Saint Marc) ; Prêchez la rémission des péchés chez toutes les nations, en commençant par Jérusalem (Saint Luc). S'il y a eu difficulté, ‒ et tous les documents de la primitive Eglise, entre autres l’Épître aux Galates, prouvent que cette difficulté a existé, ‒ c'est évidemment que l'invitation faite par Jésus aux Apôtres de prêcher sa doctrine n'a point été formulée dans des termes semblables à ceux qui sont rapportés par les Evangélistes. La rédaction que nous trouvons est donc et ne peut être que le résultat de ce que nous avons appelé le compromis de Jérusalem, et ce qui le prouve, ce sont les mots : en commençant par Jérusalem, qui sont, à n'en pas douter, une satisfaction donnée par saint Luc, disciple et compagnon de saint Paul à saint Pierre et au parti des judaïsants. 208. ‒ S'il est désormais démontré que Jésus, en prescrivant à ses Apôtres de répandre sa doctrine, n'a pu se servir d'aucun des termes qui ont été employés par les trois premiers évangélistes, ‒ les seuls qui aient fait allusion à cette prescription, ‒ que devient le verset 19 du chapitre XXVIII de saint Matthieu, sur lequel est fondée toute la Trinité ?
Puisque saint Marc et saint Luc parlent, comme saint Matthieu, de la recommandation faite par Jésus à ses Apôtres d'enseigner sa doctrine, mais rappellent cette recommandation dans des termes qui diffèrent absolument de ceux employés par le premier Evangéliste ; ‒ puisque, d'un autre côté, saint Jean n'y fait pas même allusion ; ‒ que, dans aucune partie de son Evangile, pas plus que dans ceux de saint Marc et de saint Luc, il n'est question de ce baptême à donner « au nom du Père, du Fils et de l'Esprit saint », comment ne pas tirer de ces faits cette conclusion que ces mots ont été ajoutés après coup, comme tant d'autres ont été ou ajoutés ou modifiés dans les Evangiles. Personne n'admettra, en effet, que si Jésus avait proclamé l'existence d'un Dieu en trois personnes, ce dogme devenant ainsi la base fondamentale du Christianisme n'eût pas été proclamé par les trois derniers Evangélistes. ‒ Mais non. ‒ Le copiste qui s'est avisé de réunir ces trois mots : Père, Fils et Esprit Saint dans l'Evangile de saint Matthieu, les reléguant au dernier chapitre, à l'avant-dernier verset de cet Evangile, n'avait probablement entre les mains que l'oeuvre de saint Matthieu, et c'est ainsi que les trois autres ont échappé à cette addition. 209. ‒ Une remarque est encore à faire : Sur les vingt fois où il est question d'Esprit saint dans les Evangiles, on constate que six fois seulement ces mots sont précédés de l'article (Le Esprit saint). Dans tous les autres cas, ils sont employés sans l'article Esprit saint). Or, du moment où l'article est absent, les mots πνεῠμα ἄγιον ne signifient plus l'Esprit saint, mais Esprit saint, ou un Esprit saint, puisque là où l'article n'intervient pas pour déterminer l'Esprit, c'est dans un sens indéterminé qu'il faut entendre ces deux mots. Pour contrôler ce que nous avançons, il faut malheureusement remonter au texte grec, langue qui est ignorée par beaucoup et qui a été oubliée par plusieurs.
On ne saurait, au surplus, reprocher à saint Jérôme d'avoir infidèlement traduit, puisqu’en latin l'article n'existant pas, les mots Spiritus Sanctus peuvent tout aussi bien signifier l'Esprit Saint qu’Esprit Saint ou un Esprit saint. Mais, après saint Jérôme sont venus les traducteurs des Evangiles en langues qui admettent l'article, et en traduisant sur la Vulgate, ils ont rendu les mots Spiritus Sanctus par l'Esprit saint. ‒ Pourquoi ? Pour deux motifs. D'un côté, parce que traduisant après que l'Eglise eût fait admettre la Trinité et diviniser l'Esprit par l'organe des conciles, ils devaient être naturellement portés à comprendre comme elle comprenait ellemême ; ‒ parce que, de l'autre, pour donner le sens vrai aux mots Spiritus sanctus, il leur eût fallu traduire, non pas seulement d'après le grec, mais encore avec les connaissances que l'enseignement des Esprits nous ont rendues, ‒ Par conséquent, pour avoir le véritable sens des Evangiles lorsqu'ils parlent d'Esprit saint (le Spiritus sanctus de saint Jérôme), il faut remonter au texte grec, traduire les passages où l'article est employé (τὸ πνεῠμα τἄ ὸγιον, to pneuma to agion) par l'Esprit saint, c'est-à-dire l'Esprit gardien, le Paraclet spécial à un individu, et ceux où l'article est absent (πνεῠγα ἄγιον, pneuma agion), par Esprit saint, d'une façon indéterminée, c'est-à-dire : un Esprit saint. 2.10. ‒ C’est ce travail de rectification que nous allons faire. Nous avons dit que, sur les vingt fois où les mots Esprit saint sont prononcés dans le texte grec des Evangiles, six fois seulement ils sont précédés par l'article, c'est-à-dire pris d'une façon déterminée. Examinons ces six occasions dans lesquelles ces mots sont employés dans ces conditions . 130Tout d'abord nous nous croyons autorisé à considérer comme n'en faisant qu'un seul, les trois textes ci-après des trois premiers Evangélistes, car ils ont été copiés évidemment l'un sur l'autre. SAINT MATTHIEU, XII, 32. ‒ Et quiconque aura parlé contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais celui qui aura parlé contre l'Esprit saint, cela ne lui sera pardonné, ni dans cette vie, ni dans celle qui doit venir. SAINT MARC, III, 28. — En vérité, je vous le dis : tous leurs péchés pourront être remis aux fils des hommes, ainsi que les blasphèmes qu'ils auront blasphémés ; 29. ‒ Mais celui qui aura blasphémé contre l'Esprit saint n'aura jamais de pardon, mais il sera coupable d'une faute éternelle... SAINT Luc, XII, 28. ‒ Quiconque parle contre le Fils de l'Homme, cela lui sera pardonné, mais celui qui aura blasphémé contre l'Esprit saint, cela ne lui sera pas pardonné. Ces trois versets sont à peu près identiques, et nous sommes autorisé à les réunir dans une même réponse. Nous demanderons d'abord quel sens on peut donner aux mots parler, blasphémer contre l'Esprit saint ; nous demanderons ensuite comment celui qui aura blasphémé contre le Fils de l'Homme, c'est-à-dire, suivant l'Eglise, contre la seconde personne de la Trinité, pourra-t-il obtenir son pardon, tandis que celui qui aura blasphémé contre la troisième, verra éternellement ce pardon fermé devant lui ? Voilà ce qui parait peu compréhensible, ce que nous ne nous chargerons pas d'expliquer et ce que personne n'expliquera. Autrement nous dirions à l'heureux interprète de ce texte incompréhensible : mais Dieu n'est donc pas un, puisque le blasphème prononcé contre l'Esprit-Saint n'est pas la même chose que le blasphème prononcé contre le Fils et n'a pas le même degré de culpabilité. 211. ‒ Passons donc aux trois autres versets, dans lesquels les mots Esprit saint sont déterminés par l'article. Peut-être nous reprochera-t-on de faire plus d'attention à ces questions que les auteurs des Evangiles ; mais puisque nous nous trouvons en présence d'hommes qui bâtissent des dogmes sur de pareilles vétilles, nous sommes bien forcés de les imiter lorsque nous nous trouvons en face des textes sur lesquels ils s'appuient. Au chapitre XIII de saint Marc, il est dit : 11. ‒ Et lorsqu'ils vous conduiront pour vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que vous répondrez. Mais ce qui vous sera donné (inspiré) en ce moment, dites-le, car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit saint . 131Quel Esprit saint ? L'Esprit saint troisième personne de Dieu suivant l'Eglise ! Nullement, et pour une raison bien simple, c'est que cet Esprit saint n'existe pas. Mais comme il s'agit ici, non pas d'un Esprit quelconque, mais de l'Esprit gardien, de l'Esprit exhortateur, du Paraclet spécial de l'individu « qui est conduit pour être livré », en un mot, d'un Esprit déterminé, le verset le détermine, en effet, et emploie en conséquence l'article (L'Esprit le saint). Nous arrivons à saint Luc (chap. II). 25. ‒ Et il y avait à Jérusalem un homme du nom de Siméon, homme juste et craignant Dieu, attendant le salut d'Israël et un Esprit Saint en lui ; 26. ‒ Et il avait reçu cette réponse de l'Esprit saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. Comment ! dirons-nous, nous sommes dans les quarante jours qui suivent la naissance de Jésus, puisqu'il s'agit de sa Présentation au Temple, et déjà Siméon aurait su qu'il y avait trois personnes en Dieu, dont l'une était l'Esprit Saint ! Mais en admettant même l'existence de cette troisième Personne, n'est-il pas évident qu'elle était inconnue le jour de la Présentation, puisqu'elle n'a pu être révélée, dans tous les cas, que trente ans après, par Jésus, lors de son apostolat. Et, dit l'Evangéliste, Siméon avait reçu celle réponse de l'Esprit saint. Mais s'il l'avait reçue, c'est qu'il l'avait provoquée, qu'il avait interrogé, en un mot : évoqué. Evoqué qui ? L'Esprit saint, c'est-à-dire Dieu ! Dieu dont l'essence en trois personnes n'a pu être proclamée par Jésus âgé de quarante jours ! Il ne peut donc s'agir de l'Esprit saint, tel que l'enseigne l'Eglise, mais de l'Esprit saint tel que l'entendaient les premiers chrétiens : de l'Esprit gardien, du Paraclet de Siméon, et l'Évangéliste a dû, par conséquent, le déterminer au moyen de l'article. 212. ‒ Arrivons à saint Jean. Les mots Esprit saint précédés de l'article ne se rencontrent qu'une seule fois chez l'Évangéliste dans ce passage déjà cité du chap. XIV. 26. ‒ Mais le Paraclet (l'Esprit saint) que mon Père enverra en mon nom, c'est lui qui vous enseignera toutes choses et vous rappellera celles que je vous ai dites. C'est bien là le rôle que remplissent, en effet, nos Paraclets. Ils nous expliquent aujourd'hui ce que, dans l'état de la science d'il y a dix-neuf cents ans, Jésus ne pouvait enseigner sous peine de ne pas être compris ; — ils nous rappellent ce qu'il a dit, afin de ramener son enseignement, à sa sublimité première. ‒ Nous avons d'ailleurs pris soin de faire remarquer que les mots : l'Esprit saint tels qu'ils sont placés après celui de Paraclet que l'on rencontre dans saint Jean seul, ne peuvent être que le commentaire de cette dernière expression donné pour les chrétiens-juifs qui ne connaissaient que l'hébreu, par quelque copiste sachant le grec et l'hébreu. Pour attribuer à la phrase son véritable sens, il faut lire : « Mais le Paraclet, c'est-à-dire l'Esprit saint. »
213. — Maintenant, passons rapidement en revue les versets des Evangiles, où i1 est question, non pas de l'Esprit saint, mais d'Esprit saint sans article, et, par conséquent, d'une façon indéterminée. Saint Matthieu parle de Marie : Ch. I, 18. ‒ Elle, fut trouvée portant dans son sein d'un « Esprit saint. » 20. ‒ Ce qui est né en elle vient d'un « Esprit saint ». Ch. III, 2. ‒ Je vous baptise dans l'eau en vue de la Pénitence ; quant à celui qui doit venir 132 après moi, il est plus puissant que moi et je ne suis pas digne de porter ses souliers. Lui vous baptisera dans « Esprit saint » et dans feu. Saint Marc : Ch. I, 8. ‒ Moi je vous ai baptisé par l'eau ; lui vous baptisera par « Esprit saint ».
Saint Luc : Ch. I, 15. ‒ Et il (Jean-Baptiste) sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin, ni cervoise et il sera rempli d'un « Esprit saint » dès le sein de sa mère ... 13335. ‒ Et l'Ange répondant lui dit (à Marie) : un « Esprit saint » surviendra en toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre... 41. ‒ Et il arriva qu'Elisabeth aussitôt qu'elle entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein, et Elisabeth fut remplie « d'un Esprit saint » ... 67. ‒ Et Zacharie, son père (le père de Jean-Baptiste), fut rempli « d'un Esprit saint » et il prophétisa, disant... Ch. II, 25. ‒ Et il y avait à Jérusalem un homme juste et craignant (Dieu) attendant le salut d'Israël et un « Esprit saint » était en lui. Ch. III, 16. ‒ Je vous baptise avec l'eau. Mais viendra un plus puissant que moi dont je ne suis pas digne de dénouer les souliers ; il vous baptisera dans « Esprit saint » et dans feu. Ch. IV, 1. ‒ Mais Jésus rempli d'un « Esprit saint » retourna au Jourdain et il était conduit par l'Esprit dans le désert. Saint Jean : Ch. I, 33. ‒ Quant à moi je ne le (Jésus) connaissais pas. Mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : sur qui tu verras l'Esprit descendant et demeurant, est celui qui baptisera dans « Esprit saint ». Ch. III, 5. ‒ Jésus répondit : A moins que quelqu'un ne renaisse d'eau et d'Esprit , il ne peut 134entrer dans le royaume des cieux. Ch. XX, 22. ‒ Et lorsqu'il eut dit cela, il souffla et leur dit : Recevez (un) « Esprit saint ».
214. — Nous venons de passer séparément en revue les versets des quatre Evangiles où il est question de l'Esprit saint (avec l'article) et d'Esprit saint sans article. ‒ Dans les trois cas où il est question du blasphème contre l'Esprit saint, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à ce que nous avons dit au n° 209 ; dans les trois autres cas où les mots d'Esprit saint sont déterminés par l'article, comme dans tous ceux où les Evangélistes parlent d'une façon générale « d'Esprit saint », ces mots ne peuvent être entendus que comme synonymes de Paraclet, d'Esprit Gardien ou Exhortateur, ou enfin de Bon Esprit dans le sens spirite. Voici au surplus une dernière preuve, preuve irréfutable, du sens à donner aux mots Esprit saint. Nous l'empruntons, non pas au Nouveau, mais à l'Ancien Testament. L'histoire de la chaste Suzanne est connue. Cette femme accusée faussement par deux Anciens d'une faute qu'elle n'a pas commise, est condamnée à mort. Pendant qu'on la conduit au supplice,
Suzanne adresse une fervente prière à Dieu, le conjurant de la sauver et de faire triompher son innocence (Daniel, XIII.) Alors, dit l'Écriture : 44. ‒ Le Seigneur exauça sa prière ; 45. ‒ Car comme on la menait au Supplice, le Seigneur suscita L'ESPRIT SAINT A UN JEUNE HOMME nommé Daniel… Il est inutile de rappeler comment Daniel parvient à confondre les accusateurs ; la question n'est pas là. Elle est tout entière dans les mots : le Seigneur suscita L'ESPRIT SAINT D'UN JEUNE HOMME. On ne contestera pas qu'il ne s'agit point ici de l’Esprit saint, troisième personne de Dieu, mais d'un Esprit saint, DÉFINI qui est celui du jeune Daniel. D'où l'on doit tirer cette conséquence qu'avant Jésus l'existence des Esprits saints était admise, que ces mots d'Esprit saint n'avaient pas le sens que nous a transmis une tradition faussée, et qu'appliqués au Prophète-Mé-dium Daniel, ils ne peuvent signifier que son Esprit protecteur ou gardien, son Paraclet, en un mot l'Esprit avec lequel il était plus particulièrement en rapport. On nous dira peut-être que la partie du Livre de Daniel qui renferme l'histoire de Suzanne est considérée par l'Eglise comme apocryphe ; qu'elle ne se rencontrait pas dans la Version des Septante ; que c'est seulement dans la traduction faite, vers 160 après Jésus-Christ, par Théodotion, que se trouva l'épisode de Suzanne.
Nous acceptons avec reconnaissance l'objection, car il est indifférent pour notre raisonnement que cette histoire soit vraie ou fausse ; que la partie du Livre de Daniel où il est raconté que « Nabuchodonosor avait été chassé d'entre les hommes et condamné par Dieu à manger de l'herbe comme les boeufs ; à voir son corps arrosé par l'eau du ciel en sorte que son poil croissait comme les plumes d'un aigle et ses ongles comme ceux d'un oiseau », soit acceptée par l'Eglise, tandis 135 que la partie du même Livre dans laquelle se rencontre l'histoire très plausible de Suzanne aura été rejetée. Ce que nous constatons (et cette remarque donne une nouvelle force à notre argumentation), c'est que l'épisode de Suzanne se trouve dans la traduction de Théodotion ; que cette traduction avait aux yeux du grand Origène une telle valeur qu'il l'a fait figurer dans ses Exaples ; que vers l'année 160 après Jésus-Christ, Théodotion, traduisant l'Ancien Testament y avait inséré le Livre de Daniel dans son entier et qu'il rendait le verset 44 du chap. XIII de Daniel par ces mots : le Seigneur suscita l'Esprit saint du jeune Daniel. D'on nous concluons que, 160 ans après Jésus-Christ, les mots Esprit saint avaient le sens que nous leur donnons, celui de Paraclet, d'Esprit familier ou Gardien, et nullement le sens d'Esprit saint, troisième Personne de Dieu. 215. ‒ Résumons ce qui ressort de la section II de ce chapitre et concluons. Les rapports des Esprits incarnés avec les Esprits non incarnés, rapports qui ont existé de tout temps, d'une manière le plus souvent inconsciente pour l'homme, et dans tous les cas, proportionnelle à son degré d'avancement, ont été accompagnés, à certaines époques, notamment après la mort de Jésus, de phénomènes destinés à laisser une trace de ces rapports, à les constater matériellement. Chaque incarné a, pour le protéger, le diriger, sans lui enlever le libre arbitre, pour l'exhorter, un Esprit familier ou gardien que la doctrine catholique a appelé Ange gardien ; cet Esprit est intéressé au progrès de son frère incarné, puisque, exerçant la Charité vis-à-vis de lui, il mérite, et, par conséquent, progresse lui-même. Les mots d'Esprit saint étaient, pour les premiers chrétiens, synonymes d'Esprit gardien, de Paraclet, c'est-à-dire d'Esprit exhortateur. La divinité n'a été décernée à l'Esprit non incarné, comme elle l'a été à Jésus, que postérieurement à la mort des Apôtres, dans la seconde partie du IIe siècle, lorsque la tradition vraie ayant été perdue, la troisième ou quatrième génération chrétienne attribua une cause surnaturelle aux phénomènes spirites. L'interprétation donnée durant les siècles de discussion qui ont suivi la mort de Jésus aux passages des Livres canoniques où il est question d'Esprit saint est le résultat d'un sens faussé, et elle a produit les erreurs que l'enseignement spirite vient détruire en expliquant ce qu'est l'Esprit, la possibilité sans cause surnaturelle, des phénomènes dont les Esprits sont les agents, et comment l'ignorance de la cause de ces phénomènes a amené les chrétiens de la fin du second siècle à proclamer la Divinité de l'être qui les produisait.