Réincarnation. − L'homme renaît. − Châtiment et récompense.
I
la solution était écrit dans les annales de la pensée humaine. L'esprit moderne l'a retrouvé
dans une doctrine célèbre, qui date des commencements de l'humanité historique.
Révélée à Pythagore par les brahmes de l'Inde et les prêtres de l'ancienne Égypte, adoptée
par Platon, chantée par Virgile, enseignée par les druides, proclamée par la voix du
Christ, − quoique vainement défendue, dans les premiers temps de l'Église chrétienne, par
d'éloquents penseurs, − cette doctrine renaît parmi nous, épurée, complétée, large,
consolante, rationnelle, expliquant l'homme, et justifiant Dieu.
L'honneur de l'avoir ressuscitée appartient à la France. C'est une gloire qui nous
était due, car cette noble croyance a fait la force et la grandeur de nos pères.
Nous parlons du dogme de la réincarnation des âmes, du retour à la vie terrestre des
hommes qui ont déjà vécu.
II
L'ignorance vulgaire dénatura cette notion primitive, comme elle avait dénaturé les
autres. Elle l'enveloppa dans des fictions poétiques, ainsi qu'elle avait fait pour
l'unité divine. Mais les hommes qui dégagèrent l'idée du Dieu UN de la gangue
mythologique dont l'imagination des peuples l'avait entourée, ne surent pas
découvrir, sous les fables de la métempsycose, le principe puissant qui y était
enfermé. Moïse ne s'occupa pas de l'avenir de l'âme humaine, et la majorité du
second concile de Constantinople, préférant le sombre dogme de l'enfer, repoussa la
doctrine de la réincarnation, soutenue par Origène, mais encore, il est vrai,
obscurcie de bien des erreurs.
Également proscrite du Coran, fils direct de la Bible, cette belle intuition des
premiers âges du monde, ce point fondamental de la révélation primitive fut,
pendant des siècles, perdu pour l'humanité.
Pourtant l'Évangile en admettait le principe. Les Juifs avaient reçu, des Chaldéens
et des Perses, le dogme de l'immortalité de l'âme et de la résurrection des morts.
L'idée même de la réincarnation était dans les prophéties.
− « Qui les hommes disent-ils que soit le fils de l’homme ? demande Jésus à ses
disciples. »
Ils lui répondirent :
− « Les uns disent que c'est Jean-Baptiste, les autres Élie, ceux-ci Jérémie ou
quelqu'un des prophètes. »
Une prédiction avait annoncé qu'Élie devait renaître, avant l'avènement du Messie. Les
disciples demandèrent à Jésus si la prédiction était vraie. Jésus, loin de blâmer cette
croyance, la consacra par sa réponse. − « Il est vrai, dit-il, qu'Élie doit venir, et je vous
déclare aussi qu'Élie est déjà venu, et ils ne l'ont point connu, et ils l'ont fait souffrir. »
Les disciples comprirent qu'il voulait parler de Jean-Baptiste. »
Ainsi les Pères de l'Église chrétienne, en repoussant le dogme de la réincarnation,
repoussèrent, en même temps, la parole du révélateur.
III
Ce dogme n'est donc pas éclos d'hier, dans le cerveau de quelques penseurs. Il est aussi
ancien que la notion de l'existence de Dieu, dans la conscience humaine ; aussi divin que
le sentiment de l'immortalité et de la responsabilité de notre être, sentiment qu'il
corrobore et qu'il affermit.
Des voix imposantes l'ont proclamé d'âge en âge ; cette terre gauloise que nous foulons,
et qui, mieux que toute autre, l'avait compris, tressaille encore au souvenir des bardes qui
l'ont chanté. L'idée de la réincarnation est une restitution faite à l'esprit humain.
C'est mieux que cela encore, puisque c'est la solution de la question capitale, qui
résoudra toutes les autres : la justice de Dieu !
I V
L'homme renaît : tout est dans ce mot. Comme la progression des existences instinctives
a expliqué l'inégalité des premiers êtres, la succession des vies morales explique
l'inégalité des conditions humaines, et justifie Dieu,
Tous, successivement, nous avons parcouru les phases traversées par le genre humain,
dans la variété de nos caractères modifiables et de nos aptitudes progressives, subissant la
conséquence de nos chutes, ou jouissant du résultat de nos efforts.
Nous étions les générations du passé ; nous serons les générations de l'avenir. Nous
récoltons ce que nous avons semé autrefois ; ce que nous semons aujourd'hui, nous le
récolterons encore. Si la justice n'est pas là, où est-elle ?
Hommes, vous n'avez de compte à demander qu'à vous-mêmes. Votre vie, c'est votre
oeuvre. Vous êtes libres, et vous ne pouviez pas ne pas l'être, car vous n'auriez pas la
conscience, si vous n'aviez pas la liberté.
Le résultat, de la vie morale, c'est le bonheur de comprendre et d'aimer, de se sentir
et de se savoir en harmonie avec les autres et avec soi-même, dans la paix
universelle.
Mais le bonheur, pour avoir tout son prix, doit être acquis, et non octroyé. La joie
du but atteint, de la satisfaction goûtée, est proportionnée à l'intensité des désirs, à
l'énergie des efforts. Le souvenir même des sacrifices accomplis, des souffrances
endurées pour l'obtenir, en double le charme. La mère s'attache à l'enfant, en
proportion des angoisses qu'il lui a coûtées.
La loi nécessaire de la vie, la formation, c'est-à-dire la souffrance, n'est donc
pas en désaccord avec la bonté du souverain Être.
Compensation suprême du mal, l'homme te possède en lui-même, bien qu'il te nie au
moment de la crise ! Saveur calme et sereine des chagrins qui ne sont plus,
délicieuses quiétudes, filles des tourmentes passées, quelle âme, ayant souffert, ne
connaît votre charme ! Demandez au marin s'il n’a jamais mieux apprécié la douceur
du repos, qu'après les luttes de la tempête ; à tous ceux qui ont pleuré, si le rayon de
bonheur qui a séché leur dernière larme, n'a pas payé toutes leurs douleurs !
V
L'homme renaît, augmenté par son courage, anobli par sa constance, élaboré par ses
peines. La mort n'est pas. Chaque existence est une étape sur le chemin du progrès. Il
y a des traînards et des déserteurs ; mais, tôt ou tard, les uns arrivent ; les autres
reviennent.
Cette doctrine est la plus rationnelle, la plus logique des conceptions de l'esprit humain,
sur l'état passé, présent et futur de l'âme.
Elle éclaire d'une lumière nouvelle la notion de l'immortalité, et celle, non moins
ancienne, de la responsabilité de l'être, consécration de la conscience, et sanction de la
morale.
La récompense et le châtiment existent, selon la valeur des bonnes oeuvres, ou l'intensité
des méfaits. Là, encore, la divine justice plane sur tous, impartiale et sereine. Nul ne peut
appeler de l'arrêt, ni réclamer contre la peine ; il n'y a pas de tribunal extérieur, pas d'arrêt
prononcé, pas de peine infligée. L'âme se rémunère ou se punit elle-même, par cette
simple loi d'ordre qui régit tous les phénomènes, dans son équité absolue : − l'effet
proportionnel à la cause.
L'homme avance ou recule, monte ou descend, selon l'emploi qu'il fait de ses forces
libres. Dans l'autre monde, comme dans celui-ci, il se trouve porté dans l'état qu'il s'est
préparé, dans la place qu'il s'est faite. Sa volonté présente détermine son état futur, état de
souffrances plus ou moins vives, de privations plus ou moins ressenties, de bonheur plus
ou moins étendu, en proportion de la responsabilité de l'être, c'est-à-dire de la somme de
liberté qui a présidé à ses actes : − car la liberté n'est pas la même chez tous ; nous
étudierons bientôt cette question, tant controversée.
Récompense et punition sont donc un résultat naturel, légitime, équitable des actions
dictées librement, par la volonté de l'âme consciente.