CHAPITRE XII Ludovic découvre une seconde existence - Le laboureur - Réminiscence inconsciente de la vie militaire - Impuissance causée par la position sociale - Le laboureur dans le monde des Esprits - Je suis prêt, mon ange, lorsque ta voix m’appelle ; j’attends avec anxiété l’heure qui doit me révéler le secret de ma seconde existence, et, comme pour le voyageur qui, après une bonne nuit, doit reprendre sa course au lever du soleil, le repos que j’ai pris m’a donné de nouvelles forces pour continuer la mienne. - Tu sembles avoir l’intuition de notre nouvelle excursion, oui ; pour celle-ci, il faut se lever matin, il faut arriver au travail avant l’aurore, pendant que la rosée couvre encore le sol. Que la terre est belle à cette heure ! Vois, nous sommes arrivés, ce n’est plus ce champ de bataille jonché de morts et couvert de sang ; il fallait, pour reposer tes regards fatigués de ce sinistre tableau, la vue et la vie des champs. Regarde ce paysage enchanté ! L’orient se teint des nuances de l’aurore ; les oiseaux s’éveillent sous le feuillage humide et l’insecte bruit sous l’herbe ; tout semble renaître à la vie et chercher à la conserver. Vois cette eau limpide où se désaltère le riche troupeau avant de se rendre dans son gras pâturage ; plus loin, les boeufs liés au joug, attendant patiemment le laboureur qui s’avance ; le fer de la charrue est déjà engagé dans le sol pour le préparer de nouveau à produire. Vois aussi ces riches coteaux couverts de vignes et ces vastes plaines où jaunissent les épis du plus beau froment. Tout est calme, tout respire le bonheur dans ce concert de la nature. Le soleil paraît enfin et dore tout ce qu’il rencontre ; sa chaleur, douce d’abord, essuie les fleurs humides ; aucun bruit, aucun blasphème n’est venu troubler encore cette paix du matin ; l’homme des champs doit sentir son âme attendrie devant cette scène touchante : il y a là quelque chose qui nous rappelle à nous ; esprits, les douces impressions de notre belle patrie.