Autrefois nous croyions que les anges, après avoir habité le monde le plus radieux, s'étaient révoltés contre Dieu, et avaient mérité d'être chassés de l'Eden que Dieu leur avait donné comme demeure. Nous avons chanté leur chute et leur faiblesse, et, croyant à cette fable du Paradis perdu, nous l'avons brodée de toutes les fleurs de rhétorique que nous connaissions. C'était pour nous un thème qui nous offrait un charme particulier. Ce premier homme et cette première femme chassés de leur oasis, condamnés à vivre sur terre, en proie à tous les maux qui viennent assiéger l'humanité, c'était pour l'auteur une grande ressource pour étendre ses idées, et le sujet surtout se prêtait parfaitement à nos idées mélancoliques ; comme les autres, nous avons accrédité l'erreur, et nous avons ajouté notre parole à toutes celles qui avaient déjà été prononcées. Mais à présent que notre existence dans l'espace nous a permis de juger les choses à leur véritable point de vue ; à présent que nous pouvons comprendre combien il était absurde d'admettre que l'Esprit, arrivé à son plus grand degré de pureté, pouvait rétrograder tout à coup, se révolter contre son Créateur et entrer en lutte avec lui ; à présent que nous pouvons juger par combien de creusets il faut que la liqueur se filtre pour arriver à s'épurer au point de devenir essence et quintessence, nous sommes en état de vous dire ce que sont les anges déchus, et ce que vous devez croire du Paradis perdu.
Dieu, dans son immuable loi du progrès, veut que les hommes avancent, et avancent sans cesse, de siècle en siècle, à des époques déterminées par lui. Quand la majorité des êtres qui habitent la terre est devenue trop supérieure pour la partie terrestre qu'elle occupe, Dieu ordonne alors une émigration d'Esprits, et ceux qui ont accompli leur mission avec conscience vont habiter des régions qui leur sont assignées ; mais l'Esprit récalcitrant ou paresseux qui vient faire ombre au tableau, celui-là est obligé de rester en arrière, et dans cette épuration de l'Esprit il est rejeté comme font les chimistes des matières qui n'ont pas passé par la filtration ; alors l'Esprit se trouve en contact avec d'autres Esprits qui lui sont inférieurs, et il souffre réellement de la contrainte qui lui est imposée.
Il se souvient intuitivement du bonheur dont il jouissait, et se trouve au milieu de ses égaux comme une fleur exotique qui serait brusquement transplantée dans un champ inculte. Cet Esprit se révolte en comprenant sa supériorité ; il cherche à dominer ceux qui l'entourent, et cette révolte, cette lutte contre lui-même, tourne aussi vers le Créateur qui lui a donné l'existence, et qu'il méconnaît. Si ses pensées peuvent se développer, il répandra le trop-plein de son cœur en récriminations amères comme le condamné dans sa prison, et il souffrira cruellement jusqu'à ce qu'il ait expié la paresse et l'égoïsme qui l'ont empêché de suivre ses frères.
Voilà, mes amis, quels sont les anges déchus et pourquoi ils regrettent tous leur paradis. Tâchez donc, à votre tour, de vous hâter pour ne pas être abandonnés quand sonnera le signal du retour ; rappelez-vous tout ce que vous vous devez à vous-mêmes ; dites-vous bien que vous êtes vous, et que vous avez votre libre arbitre. Cette personnalité de l'Esprit vous explique pourquoi le fils d'un homme savant est souvent un idiot, et pourquoi l'intelligence ne peut pas se transformer en majorat. Un grand homme pourra bien donner à sa progéniture le galbe de sa figure, mais il ne lui transmettra jamais son génie, et vous pouvez être certains que tous les génies qui sont venus déployer leurs talents parmi vous étaient bien les enfants de leurs œuvres, car, ainsi que l'a dit un homme très savant : « C'est que les mères des Patay, des Letronne et du vaste Arago ont créé ces grands hommes très innocemment. »
Non, mon ami, la mère qui donne naissance à un talent illustre n'est pour rien dans l'Esprit qui anime son enfant : cet Esprit était déjà très avancé quand il est venu se réincarner dans le creuset de l'épuration. Gravissez donc ces degrés de l'échelle ; degrés lumineux et brillants comme des soleils, puisque Dieu les éclaire de sa splendide lumière ; et rappelez-vous que maintenant que vous connaissez la route, vous seriez bien coupables si vous deveniez des anges déchus ; du reste, je ne crois pas que personne oserait vous plaindre et vous chanter encore le Paradis perdu.
MILTON.
Source : Revue Spirite – avril 1862.